About

« I’m open towards the undiscriminating beauty residing in all things, also those things seen as obscene,
that make us the tragic, cultural beings that we are.« 

Je m’intéresse à la structure du récit et mon intention est de fragmenter la linéarité d’une histoire.
Je ne vois pas mes projets comme des séries finis, mais comme une interaction avec le monde, une suite d’actions qui contribuent à construire un portrait défragmenté de la relation entre humain, objet et espace.

 

 Aldo Paredes 

 

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1 m2 d’infini

 

(Les peintures Paredesques d’Aldo Paradis) 

 

La vitalité explosive d’Aldo Paredes échappe foncièrement à nos circuits de pensée. Originaire d’Equateur, fauve avant tout, il véhicule un tropique qui mettrait en orbite n’importe quel système.

Ses peintures sont habitées par une énergie mystérieuse. Les mouvements répétitifs de torsions colorées (allant vers l’extérieur ou vers l’intérieur) qu’il décline, semblent narguer lascivement le psychédélisme, mais leur systématisation révèle en fait le besoin d’épuiser le geste pictural. Cet enjeu, avant tout technique, est la condition d’accès à une question spirituelle : « Comment être là ? »

« J’essaie d’aller dans le sens de la nature des choses, d’accompagner son mouvement, je veux laisser de la place au silence pour traduire une vision colorée qui échappe au verbe », dit-il.

Comme les maîtres calligraphes japonais, il se poste face à l’exercice de la répétition pour délier avec fluidité son approche asymptotique de la beauté. Sa rigueur et son introspection sont d’autant plus intéressantes qu’Aldo incarne en société un enfant fougueux – mais les quelques rares vérités de nos vies n’ont-elles pas pour seul point commun de se tenir dans des paradoxes ?

Afin de délimiter simplement l’envergure de ce geste pictural pensé comme ascèse, Aldo établit ses peintures au « mètre carré ». Ce format définit de manière laconique et humoristique la notion d’espace de jeu. L’insouciance apparente de cette découpe s’opère pourtant dans un pragmatisme dont voici le calcul : 1m2 = 1 journée de travail. Ce cadre invariant permet à Aldo de poursuivre, au gré du jour, un espace de réserve face au monde. D’un côté photographe extrêmement ouvert, de l’autre peintre silencieux et introspectif, l’extraordinaire mélange d’Aldo fait exister un vide, et ce vide ne reflète pas le monde, mais l’infini.

 

Lucille Uhlrich

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Le livre du Ciel

Le travail d’Aldo Paredes nous invite à nous reconnecter au Ciel, c’est-à-dire au cosmos dans lequel nous vivons, et que nous avons tendance à oublier. Il aborde la notion de nature dans son sens le plus vaste, celui de l’univers immense qui nous contient avec notre galaxie la Voie lactée. Et à cette fin, il doit se transporter – au propre comme au figuré – dans des endroits déserts où il pourrait être en contact avec le paysage céleste.

Là, il perçoit intuitivement un ordre qui régit ces milliards d’étoiles, avec lesquelles les hommes ont vécu au quotidien durant des millénaires, s’orientant dans l’espace environnant au moyen de ces repères lumineux, disposés dans le ciel, tels les rois mages ou ces bjords qu’évoque une sourate du Coran. Les grands événements de la vie étaient alors ponctués par les passages d’étoiles fixes au méridien terrestre, qui annonçaient la période des semailles ou des crues du Nil et participaient d’un rituel de communion avec le cosmos. Aujourd’hui l’homme moderne semble entraîné dans cette dérive qu’Aldo Paredes accole à cet ordre : titre de sa série, coupé de son milieu originel, de cet œuf cosmique qui berçait jadis ses rêves, trop occupé à piller les trésors de sa planète.

L’ordre et la dérive relève d’une épopée visuelle aux confins de territoires reculés à l’abri du tumulte, où l’artiste se réfugie parfois nu, à l’aube face aux pyramides, invoquant des retrouvailles charnelles avec une mystique perdue, et une quête d’énergie inconnue. Celle qui faisait se déplacer les montagnes, ou à n’en pas douter les blocs géants de calcaire nummulitique, que la science actuelle serait bien incapable de bouger avec un tel esprit de précision.

Il divise son parcours initiatique en quatre chapitres confirmant qu’il s’agit bien d’ouvrir un livre d’images, « initiatique » : car il s’initie aussi à la pratique de la photographie dans sa démarche à la recherche d’une forme qui nous toucherait, à défaut de nous interroger et il y réussit, stipulant qu’à ses yeux enchantés « l’écriture photographique a un lien avec l’astronomie ». Il nous rapporte des témoignages colorés empreints de grâce et de simplicité.

« Jusqu’à ce que le silence vienne » inaugure son entrée dans l’ordre apparent, nous mettant immédiatement en relation avec la nuit et avec cette paix qui ressort du spectacle du ciel. C’est le début de son voyage où il se laisse griser par la fascination, qu’exerce sa rencontre avec le lit nocturne de la Voie lactée, qu’il relie à la Terre, de son point de vue, en accrochant au passage dans son cadre : un arbre, une fenêtre, une colline, une maison… comme une invitation à s’oublier dans la méditation.

« Chasseurs de planètes » se situe sur le berceau égyptien de la civilisation où il croise la révolution  sur la place Tahrir du Caire : le tumulte de la dérive confronté au calme millénaire d’un alignement planétaire qu’il fixe sur sa pellicule ;  avec Saturne (l’ordre), Vénus (la beauté) et Mercure (la réflexion) qui marquent symboliquement sans qu’il le sache vraiment sa marche en avant vers sa propre interrogation sur l’art.

Aldo Paredes n’hésite alors pas à se mettre à nu devant le silence de la solitude, car il découvre que l’on est seul face au questionnement sans réponse ; comme Gauguin  trouvant ses mots  directement sur le support peint : « Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?  ».

Avec « Une femme imprévisible » Aldo nous fait rentrer dans le mystère du féminin, qu’il atteint au cap Nord, le 17 janvier 2013, nous murmurant comme interloqué par le silence obscur qui jaillit de ces images présentées en panneaux. Il aborde la naissance, vue de la mer où il croise les figures noirâtres et neigeuses qui ramènent aussi à la mort, métaphore angoissée et glacée, prise à l’envers de « L’origine du monde » peinte par Courbet en 1866, qui préfigurait les voyages des explorateurs dans le Grand Nord.

Il ne s’attendait pas à cette découverte, après la chaleur confuse de l’Egypte, et à ce que son cœur se serre, sans pour autant s’arrêter de battre.

« Le monde flottant » en guise de conclusion ouverte explore différents supports photographiques et leurs gammes chromatiques, le Bleu du ciel le rapprochant d’Yves Klein et d’une démarche contemporaine. Le propos ici se resserre, se concentre paradoxalement moins bavard et plus plastique, les polaroids démultipliant les émotions reconstituées dans la fresque répétitive.

Nous sommes en plein jour, la nuit se cache et les étoiles sont voilées, au loin derrière les nuages, ces merveilleux nuages dont parle Baudelaire qui flottent et semblent animer une pérennité de la forme retrouvée ;  quand leurs contours disparaissent dans l’éphémère. Et la photographie n’est-elle pas ce remède contre la disparition.

 

Gilles Verneret  directeur artistique « le Bleu du ciel »